Maintenant je n'écris plus qu'en français : Les planches comme refuge de guerre – Théâtre de Belleville (Paris)

Sur cette immense carte projetée, impossible de poser les bornes chronologiques de ce récit, du moins la fin… Viktor Kyrylov a grandi à Odessa, au sud de l’Ukraine. Nous Européen.nes, nous avons entendu ce nom relié à des notifications de bombardements. Pourtant, Odessa est restée un havre de paix pour Victor, emplie de souvenirs d’enfance et de soutien lointain de ses proches. Parce que oui, Viktor est devenu la fierté de sa petite ville natale. Il s’est envolé pour Moscou poursuivre son rêve de comédien dans la prestigieuse école de théâtre russe GITIS. La culture russe le ionne, il se sent rempli à l’idée de jouer La Mouette de Tchekhov pour son premier spectacle le 25 février 2022.
Mais la veille, tout devient « absurde » selon ses mots. Il reçoit un coup de téléphone de sa mère l’alertant du début de la guerre sur le territoire ukrainien. Les troupes russes viennent de l’envahir, mais la guerre n’a-t-elle pas commencé 8 ans plus tôt, en Crimée ? La scène qui le transportait devient le lieu des questionnements : doit-il rentrer à la maison, combattre avec ses « frères » pour protéger les siens ? Ou rester ? Doit-il fuir ? Viktor se sent désormais traître envers sa patrie et en territoire ennemi. Les couloirs du GITIS deviennent des lieux d’hostilités. Le voile se lève sur cette culture de Tolstoï et de Tchekhov qu’il chérissait tant, elle est le reflet d’une assimilation massive, ou plutôt d’une invisibilisation d’auteur.rices ukrainien.nes. Les cartes sur scène sont aussi mouvantes par leurs frontières. Rien n’est neutre. De cet écran, surgit de temps en temps un miroir, reflet de Viktor face à ses remords et sa culpabilité.
Au lendemain de sa première représentation de La Mouette, dans un théâtre où ses copains russes parlent d’« opération militaire », il décide de partir. Quelques jours après avoir é la frontière lettonne puis estonienne, Viktor choisit la . Il a choisi le français comme une forme de gratitude à ce pays qui l’a accueilli à son arrivée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris avant d’atterrir à l’Académie de la Comédie Française. C’est de sa rencontre avec Éric Ruf, istrateur de la Maison de Molière, que naît ce projet de coucher sur le papier son histoire.
Viktor Kyrylov occupe l’entièreté du plateau par sa présence, les yeux brillants de ion pour ce métier et par l’émotion poignante d’avoir quitté les siens. On ressent de même la gratitude de pouvoir être devant nous dans son seul-en-scène à l’écriture pointilleuse et fluide. Une écriture qu’on espère lue à Odessa par sa mère, elle qui lui avait supplié de ne pas rentrer. Après avoir vu ce spectacle, se pose toujours la même question : en tant qu’Européenne dans un pays en paix, nous donnons-nous bonne conscience à venir écouter l’horreur un soir avant de repartir tranquillement chez nous ou est-ce un moyen de lutter contre la banalisation d’une guerre, comme cela a été le cas avec Mode d’emploi pour un metteur en scène israelien en Europe avec le conflit israelo-palestinien et le génocide à Gaza ?
Crédits photos : Pauline Le Goff

Maintenant je n‘écris plus qu’en français
Écrite et interprétée par Viktor Kyrylov
Sous le regard amical d’Eric Ruf
Scénographie & costumes par Constant Chiassai-Polin
1h30
En mai :
- mercredi à 19h
- jeudi, vendredi et samedi à 21h15
- dimanche à 15h
En juin :
- mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 19h
- dimanche à 15h
Jusqu’au 29 juin 2025
Théâtre de Belleville (Paris 11ème)
Jade SAUVANET