Interview de Sebastien MARNIER, réalisateur du film l'heure de la sortie
Sorti il y a trois semaines "L'heure de la sortie" - voir notre chronique ici- n'a hélas pas connu le succès public qu'il méritait, car ce film joue très habilement avec les codes du thriller horifique tout en allant piocher dans d'autres genres du cinéma français, comme la chronique sociale ou le manifeste écologique.
Sebastien Marnier, nous l'avions rencontré sur Lyon un peu avant la sortie du film et l'échange qu'on a eu avec lui était aussi ionnant et intense que son long métrage :
INterview de Sébastien Marnier, pour l"'heure de la sortie "
Baz'art: L ’Heure de la sortie nous a semblé comme un pur objet de mise en scène, or au départ c’est l’écriture qui est à la base car c'est adapté d'un oman de Christophe Duffosé : Qu’avez-vous percu de cinématographique dans le roman éponyme?
Sébastien Marnier :Je ne dirais pas forcément que mon film est un pur film de metteur en scène, c'est un peu réducteur, non? ( sourires) .
Disons simplement que dès la première lecture, ce roman a éveillé en moi un torrent d’images et de situations forcément évocatrices: ce suicide de professeur qui survient dès les premières pages, ou bien encore ce projet mystérieux qui anime ces jeunes gens très mystérieux.
Disons que ce roman de Christophe Dufossé a provoqué chez moi l’envie de filmer l’opacité adolescente à travers les yeux d’un homme de 40 ans, et comme vous le dites, en faire un challenge en terme de mise en scène, savoir comment filmer , dans une sorte d'expérience immersive , ces enjeux là.
Contrairement au roman, qui me semblait être davantage focalisé sur la figure de Pierre et attaché à la radiographie d’un monde enseignant en plein désarroi, je voulais placer les enfants au premier plan de l’histoire, je voulais mettre en scène le mur qui existe entre les adultes et les adolescents en adoptant le point de vue de Pierre.
Baz'art: Vous avez lu le livre à sa sortie en 2002, mais vous l'avez mis de coté pendant quinze ans, pourquoi un tel délai avant de réaliser enfin cette adaptation ?
Sébastien Marnier : En fait, quand je l'ai lu en 2002, je commençais tout juste mes études de cinéma, donc c'était bien trop précoce pour faire quelque chose avec ce matériau. Ensuite, ’ai longtemps espéré que ce soit mon premier film, mais il était certainement trop ambitieux pour un coup d’essai.
Alors je l’ai mis de côté, sans jamais vraiment en faire le deuil. Même lorsque je travaillais sur "Irréprochable", j’en parlais à ma productrice, Caroline Bonmarchand, qui m’a poussé à le reprendre.
Dix ans après la première version du scénario, je me suis mis en tête de le réécrire intégralement, sans er par une nouvelle lecture du roman.
Je sentais qu’il fallait que je reste sur mes impressions, le souvenir que j’en avais secrètement conservé dans un coin de ma tête .
Baz'art : Est ce que les différences fondamentales entre le roman et votre film sont à rechercher dans le fait que, depuis 2002, le monde d'aujourd'hui semble être encore plus anxiogène : est ce que cet élément là a nourri profondément votre travail d’adaptation ?
Sébastien Marnier : Oh vous savez, le monde est déjà très anxiogène en 2002, car le livre a été écrit juste après la chute des World Trade Center. Mais vous avez raison, en quinze ans, le monde a bien changé, et ma réécriture porte forcément la trace de ces bouleversements.
Disons que les enjeux sont différents, cette génération me semble plus consciente du monde dans lequel elle vit.
Je me suis lancé dans cette nouvelle adaptation en 2016, alors que le monde en général et la en particulier étaient traversés par des inquiétudes nouvelles.
La réalité s’est durcie, et le regard des enfants sur le futur aussi.
Baz'art : Et quel est précisemment ce regard de la jeunesse que vous avez perçu et que vous vouliez montrer dans l'heure de la sortie?
Sébastien Marnier : Ce message de la jeunesse, on l'a notamment identifié lors du long casting qu'on a réalisé pour trouver les enfants de la classe du film, et plus particulièrement le groupe des 6.
À chaque fois, on leur a posé des questions sur leurs peurs, leurs angoisses et nous avons été frappés par leur acuité mais aussi par le pessimisme de leur vision du monde.
On leur explique qu’ils ne doivent pas rester sur le perron de l’établissement avec leurs amis parce que le risque de se faire tirer dessus est plus élevé.
Il n’en faut pas plus installer dans l’esprit d’un enfant l’idée que le chaos rôde à proximité…
Si cette peur collective ne nous a pas étonnés, nous avons été en revanche surpris par leurs angoisses liées aux questions écologiques, par leur conscience que l’homme est en train de tuer la planète et de faire disparaître les animaux.
C’est une génération qui vit dans un chaos et qui a envisagé une certaine idée de la fin d’un monde.
Baz'art : Est-ce que pour vous ce film a une portée politique et militante évidente, que vous avez assumé dès le début du projet?
Sébastien Marnier : Oui tout à fait, que ce soit les acteurs, l’équipe technique et les partenaires financiers, nous avions tous pleinement conscience que nous portions un message important et que nous faisions un film réellement politique.
La question écologique y est centrale et malheureusement, l'actualité assez récente ne fait que confirmer qu’il faut agir maintenant.
J’ai effectivement un discours politique mais je n’ai pas vraiment de solutions.
J’ai l’impression que c’est un fait réel et que sur ces questions-là, c’est maintenant ou jamais. Si on ne fait rien, on court à la catastrophe, et si on attend cette catastrophe, on la vivra ensemble.
Ce sera émouvant parce que nous serons ensemble mais ce sera trop tard.
Baz'art : Du coup, votre film est très sombre et porte en lui les germes de cette prise de conscience, n'est ce pas?
Sébastien Marnier : Oui, c’est un film très noir et la question de la peur écologique est essentielle dans le film mais pour autant, je ne crois pas que ce soit un film nihiliste ou désespéré.
Si le film avait été naturaliste, il aurait été inable, mais le fait d’inscrire cette histoire dans le genre et le thriller me permet de rendre le film haletant sans paraître donneur de leçons. .
Il n’était pas question de céder à une forme de pessimisme facile. Sans trop spoiler, disons que la fin du film plaide pour un rapprochement entre les générations qui aura effectivement lieu, même si c’est triste que cela arrive seulement à ce moment-là.
Le film constate que nous attendons toujours que la catastrophe se produise pour que le "vivre ensemble" et la prise de conscience collective puissent reprendre corps. Ce qu’il faut, c’est travailler ensemble avant la catastrophe ! Et le titre prend alors un tout autre sens après la dernière séquence.
Baz'art :Le film interpelle également par le grand laxisme des adutes qui vire quasiment à une sorte d’irresponsabilité : c'est une manière de faire un peu un mea culpa de votre génération qui a trop laissé couler devant les catastrophes en tous genres?
Sébastien Marnier : Oui bien sûr, on ressent dans le film une forme d’aveuglement du corps enseignant, qui préfère faire l’autruche alors qu’il sait qu’une colère sourde hante l’école., et qui relativisent la violence et le jusqu’au-boutisme dont les élèves sont capables.
Quant aux parents des enfants , ils sont totalement absents de mon film. C’est vrai que la peinture que je fais du monde adulte peut sembler sévère mais comme vous le dites, je me flagelle un peu de cette manière : j’ai 40 ans, j’ai été élevé dans un environnement politique très fort... et puis le temps e et je sens que je perds la foi.
Je le vois dans mon entourage : nous sommes lucides mais nous ne nous battons plus : il me semble que le monde est devenu si effrayant que nous nous réfugions dans nos petites vies en essayant de les rendre le plus agréables possible, comme si nous pressentions qu’il faut en profiter maintenant, avant que ne survienne quelque chose de désastreux.
Nous sommes face à des catastrophes diverses (politiques, économiques, écologiques), nous savons qu’elles existent et qu’elle sont presque irrémédiables, mais nous ne faisons rien pour les empêcher, malgré les prises de conscience qui pointent ici et là, surtout je le répète, chez les jeunes.
Baz'art :Le cinéma français se pique de plus en plus de cinéma de genre, soit de manière frontale .(.grave; Revenge) soit de facon plus détournée comme jusqu’à la garde ou Petit paysan ..Est ce que cette vague vous stimule car vous vous sentez moins isolés ou au contraire comme vous savez que le cinéma de genre est encore mal perçu par le milieu du cinéma?
Sébastien Marnier : Oh, en fait, je me réjouis totalement de cette mouvance et du fait que les barrières soient de plus en plus poreuses entre les genres..
Vous savez, quand j’ai voulu entrer à la FEMIS à 20 ans, je ne parlais déjà que de cinéma de genre, et à l'époque, on me regardait avec des grands yeux.
Je sais que les choses évoluent et je trouve qu’il y a des tentatives très intéressantes., mais finalement nous ne sommes pas si nombreux à vouloir faire ça.
Mais je pense vraiment que cette frontière est en train de s’effriter, et c’est tant mieux car les films n’en sont que plus étonnants.
Ce que permettent ces films, "Petit paysan", "Jusqu’à la garde" ou les miens, c’est un retour de la surprise : on regarde le début mais on serait bien incapable d’imaginer le déroulement et notamment la fin.
Baz'art : Est-ce que le succes critique et publique d’Irréprochable" vous a permis de mieux présenter ce second film encore plus radical aux producteurs ou cela n’a pas trop joué?
Sébastien Marnier : Ah c'est sûr qu' Irréprochable, qui n’est pas juste un thriller., a été très difficile à financer, notamment parce qu’il épousait le point de vue de la « méchante » et du coup les financeurs me répliquaient qu'aucune empathie pour elle pouvait être possible.
Il me semble pourtant qu’il ne faut pas forcément avoir de l’empathie envers un personnage pour s’y intéresser., mais malheureusement tout le monde n'épousait pas cet avis ( sourires) .
Même si c'est aussi pour le cas des personnages de "l'heure de la sortie",dont aucun n'est trés sympathique, les démarches ont sans doute été plus facile pour l'imposer aux financeurs , grâce en effet au petit succès qu'a connu le premier.
Mais pour en revenir à la question du genre, car tout cela est étroitement lié, ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi dans les commissions et notamment au CNC, le cinéma de genre est forcément différencié du cinéma dit d'auteur, c'est toujours cette question de la " case" dans lequel il faut mettre tel ou tel film...
Plus qu'au succès en salles d''Irréprochable c'est sans doute le succès de Grave- relatif mais indéniable- qui a réussi à faire bouger les choses et rendu les démarches plus facile, grace à ses frontières entre cinéma de genre et cinéma d'auteur qui sont en train de tout doucement mais surement se dissoudre..
Il faut y croire, en tout cas, moi j'y crois fortement et sincèrement.
L'HEURE DE LA SORTIE Bande Annonce