Retourner à la mer: le chanteur Raphaël réussit l'art délicat de la nouvelle
" Je suis le mouvement de cette foule qui ondule, maman avance à mes côtés. Elle ne marche pas suffisamment vite à mon goût.Elle suit en trainant sa vieille valise informe qui ressemble à un animal qu'on mène à l'équarissage. Je vois cette petite silhouette, molle et trébuchante, et j'ai honte, à mon âge de voyager avec elle."
L'exercice de la nouvelle littéraire est un art délicat, réussir à raconter suffisamment et de faire assez exister ces personnages en une dizaine de pages seulement tout en donnant l'impression d'assez raconter pour ne pas frustrer le lecteur au moment final.
Pour son premier essai littéraire, le chanteur Raphaël, qui prend ici son nom complet Raphaël Haroche, s'essaie à l'exercice avec d'autant plus d'aisance que l'art de la nouvelle pourrait se rapprocher de celui de la chanson..
Dans "Retourner à la mer", qui vient de sortir en poche chez Folio, on retrouve intacte sa faculté à trousser des situations plausibles et authentiques et d'aller cre dans le coté un peu sombre un peu rêche de l'âme humaine.
Raphaël, chanteur assez énigmatique, devient Raphaël Haroche, romancier tout autant énigmatique qui propose une poésie du spleen avec une économie de mots et de style assez remarquables .
Evidemment, comme dans pas mal de recueils de nouvelles, l'ensemble est inégal, et certaines de ces nouvelles manquent un peu de force et de ion pour éveiller l'intérêt du lecteur.. on retiendra donc les meilleures, notamment la nouvelle qui donne son titre au livre ( et qui est aussi le titre d'un morceau de Raphaël-la boucle est bouclée) , où l'on voit un quadra dépressif partir se reposer dans le Sud avec cette vieille maman qu'il traine comme un boulet, ou bien encore "L'escalier" , dans lequel un jeune adolescent apprend la mort de son frère malade en pleine colonie de vacances.
On le voit: l'univers du Raphaël romancier est plutôt froid et sombre, et non dénué d'une certaine mélancolie et même d'une certaine cruauté, mais ces êtres malmenés par la vie, qui sont souvent sur une pente gravement descendante , recèlent quand même au fond d'eux une parcelle d'humanité, et c'est celle ci qui intéresse l'auteur et forcément le lecteur...
Une essai littéraire donc largement réussi, qui plus est ponctué l'an é du Goncourt de la meilleure nouvelle, ce qui n'est pas rien.